Les tourbières

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Mise à jour : mardi 9 mars, 2010

© 2010 J.Ph. ROSELLO

Une lente évolution des nappes d'eau

Sous l'action de la végétation les nappes d'eau tendent naturellement au comblement. Voyons d'abord le cas d'une eau riche en matières nutritive 

Eaux dormantes riches en substances nutritives

La production végétale est importante, donc celle de l'humus (lac eutrophe).
C'est surtout la profondeur de l'eau qui décide quel type de plantes poussera, avec donc une zonation du bord vers les zones profondes. Au cours du temps la sédimentation provoque une diminution de cette profondeur, les bords de la nappe d'eau finissent par être exondés, l'étendue inondée diminue, les différents groupements végétaux se déplacent vers les zones qui étaient les plus profondes à l'origine. Ainsi, sans aucun changement d'origine extérieure, des groupements de plantes vont en remplacer d'autres et être remplacée à son tour.

On appelle marais les zones où les plantes sont partiellement ou totalement émergées. C'est à ce stade évolutif que se développe les tourbières.

La forêt marécageuse apparaît ensuite, des débris de plantes s'accumulent sur le sol, la nappe phréatique s'enfonce et c'est la forêt classique qui termine l'évolution (c'est ce que l'on appelle le climax). 

On a vu que les étangs en voie de comblement présentent des ceintures de végétation caractéristiques. On trouve par exemple en Europe centrale :
  1. Plantes submergées : Charophycées
  2. Plantes à feuilles immergées, dont seules les fleurs s'épanouissent hors de l'eau : Potamogeton, Myriophyllum, Elodée, etc.
  3. Plantes à feuilles flottantes : Nymphéa, Nénuphar
     ou, s'il n'y a pas de courant, entièrement flottante : Hydrocharis, Stratiotes, Lentille d'eau
  4. Plantes partiellement émergées : Sparganium, Typha, Phragmites communis, Roseaux de manière générale
  5. Plantes à racines immergées : Carex...
  6. Forêts marécageuse : Aulnes avec différentes espèces de Carex, Orties, Fougères, etc.

Eaux dormantes pauvres en substances nutritives

Le mécanisme sera comparable avec des plantes adaptées, un peu différentes. Il y aura une proportion beaucoup plus grande de matière végétale dans les dépôts. La tourbière apparaîtra donc plus vite, surtout si la production de matière organique est fortement excédentaire (lac dystrophe) que si elle l'est faiblement (lac oligotrophe).

Formation des tourbières

On trouve dans l'Encyclopédie Universalis : "Tout marécage n'est pas une tourbière. Pour être une tourbe, le dépôt palustre doit renfermer au minimum 20 p. 100 de matière organique s'il est dépourvu d'argile, 30 p. 100 s'il est fortement argileux (M. Jamagne, 1967), proportions souvent dépassées ; des teneurs inférieures (entre 12,5 et 20 p. 100) caractérisent des sols paratourbeux."

Le mécanisme de formation des tourbières est complexe. Il y a accumulation de matière organique liée à une conjugaison entre :

  1. une température basse (c'est essentiel : les tourbières se trouvent en général dans les régions circumpolaires ou en montagne)

  2. eau pratiquement stagnante, sans quoi la matière organique, peu dense, serait entraînée

  3. une inondation permanente qui entraîne une baisse de l'oxygénation, et le plus souvent l'apparition des Sphaignes.

La formation de la tourbe

Au plus profond des lacs (sapropel, où le calcaire peut même s'accumuler par précipitation formant une craie lacustre typique aux  fossiles typique : Limnée, Planorbe, Physe...) l'action des bactéries décomposeuses est élevée mais incomplète par carence d'oxygène. Il y a une carbonisation spontanée : les molécules organiques perdent leur azote, leur oxygène voire leur soufre et l'excédent donne des hydrocarbures. Cette carbonisation fournit un matériau brun, presque noir, qui préserve une partie des structures végétales. C'est la tourbe. Les différents végétaux d'origine donne différentes sortes de tourbe (v. planche) qui conserve la disposition en couches. De plus, les couches supérieures sont de plus en plus acides et pauvres en sels minéraux. Les Sphaignes (genre Sphagnum) envahie progressivement la tourbière en formation.

Ces explications font appel à des mécanismes isolément observables par des expériences, mais dans la nature l'excédent de matière organique est très faible et absolument pas à notre échelle : en réalité la décomposition reste tout de même importante et l'accroissement de la couche de tourbe est seulement de l'ordre de 35 mm par siècle ! L'importance des épaisseurs observables n'est dû qu'à une seule chose : ces tourbières fonctionnent souvent depuis plus de 10.000 ans (et même 2 millions d'années dans certains cratères du Massif Central, en France) !
Vous trouverez une image réactive plus bas, pour illustrer le processus (inclus celui qui suit).

La tourbière bombée

Les Sphaignes ont quatre particularités extraordinaires:


Microphotographie de Sphaigne
  1. Elles continuent à pousser vers l'extérieur tandis que leur base meurt et se transforme en tourbe blonde sur des épaisseurs de plusieurs mètres. La croissance est centrifuge et plus favorable au milieu qu'en périphérie : la structure prend un aspect hémisphérique d'où le nom de tourbière bombée.

  2. Elles sont exceptionnellement hydrophiles : elles accumulent de l'eau dans un tissus spécialisé (cellules capillaires appelées hyalocystes, claires sur la photo). Cette eau remonte par capillarité jusqu'à la zone vivante supérieure.

  3. Elles sont douées de reviviscence : après une sécheresse sa réhydratation la fait revivre.

  4. Les Sphaignes acidifient le milieu et cette acidité, qui peut descendre à pH 4, limite considérablement le développement  de bactéries et champignons, même anaérobies. 

De plus, elles forment des tapis qui tendent à étouffer le reste de la végétation.

L'acidité étant installée et entretenue, même un apport d'oxygène par une circulation d'eau ne permet plus la décomposition. Cette eau "circulante" (pluie...) entraîne les quelques sels minéraux apparus, ce qui maintient les sols pauvres et empêche donc les autres plantes de se développer. En outre, le sol obtenu ne contient que de la matière organique et ne bénéficient même pas des particules argileuses, contenus dans les sols habituels, qui retiennent les sels minéraux.

Le pourtour de la tourbière est plus sec et occupé de ce fait par des arbres : c'est bien l'humidité qui limite la progression de la forêt.

La tourbière bombée est donc un milieu hostile qui comprend très peu d'espèces : Eriophorum, Erica tetralix, Calluna, Myrica gale, Drosera rotundifolia, etc. qui se caractérisent par des adaptations à l'irrégularité des conditions d'humidité (par enroulement des feuilles, réserves, etc.) et à la pauvreté du sol (consommation d'insectes, de pollen).

Il suffit d'augmenter la température et surtout d'augmenter le pH par du calcaire (amendement) pour provoquer le décomposition de la matière organique, phénomène accéléré par une oxygénation. Ainsi, l'absence d'oxygène n'empêche pas seule la décomposition. Le gaz des marais (méthane) en est d'ailleurs la preuve. Du reste, certaines bactéries (les méthanobactéries, par exemple) sont même tuées par l'oxygène...
Cet anoxie est connue, en agriculture, pour entraîner une perte d'azote : les bactéries qui libèrent l'azote sous forme soluble assimilable (ion ammonium NH4+, nitrate NO3-...) nécessitent de l'oxygène, tandis que des bactéries anaérobies consomment la matière organique en libérant de l'azote N2 gazeux, perdu dans l'atmosphère. (Cet azote gazeux n'est pas assimilable par les plantes.)

Voici une image interactive qui explique le processus de l'évolution d'un étang jusqu'à une tourbière bombée, avec l'explication des différentes couches déposées. Les phases apparaîtront en cliquant sur leur nom.

Dans la première phase, on trouve successivement depuis le fond vers le bord une vase plus ou moins organique et décomposée, une boue tourbeuse, une tourbe de Roseaux, une tourbe de Carex et une tourbe d'humus forestier. Ces tourbes, dites "tourbes brunes" sont en général médiocres pour les plantes carnivores car peu acides donc instables.

Dans la deuxième phase, les dépôts finissent par réduire l'étendue d'eau et sa profondeur.

Dans la troisième phase, il n'y a plus vraiment d'eau visible, les arbres recouvrent l'ancien étang et le dépôt d'humus forestier enfouit la nappe phréatique.

Dans la quatrième phase, l'humus forestier acide et gorgé d'eau favorise la croissance de la Sphaigne qui acidifie encore plus le milieu. L'acidité provoque la régression de la forêt et l'envahissement par la Sphaigne. Les plantes carnivores se développent très bien dans ce milieu très pauvre et acide. La Sphaigne des zones centrales vit dans de meilleures conditions que celle des zones pionnières périphériques (pas forcément de même espèce) : elle pousse donc plus vite et avec une tendance a "retomber" vers l'extérieur. Cela forme des dômes dans les meilleurs conditions.

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Où trouver des tourbières ?

De ce qui précède, il s'ensuit que l'on trouvera, en France, plus facilement les tourbières dans les zones froides, c'est-à-dire davantage en montagne, à une altitude décroissante avec la latitude, phénomène comparable à celui constaté pour les différentes étages de la végétation : les espèces montagnardes poussent plus bas lorsque l'on est plus au nord. Vous trouverez dans ce site des cartes de France représentant ses régions de tourbières.
Dans le nord de l'Eurasie et de l'Amérique d'immenses plaines sont ainsi recouvertes de tourbières.

Les plantes sont adaptées à leur milieu et le pH est un facteur important, d'autant qu'il est lié à d'autres facteurs. Voici un tableau représentant quelques espèces communes révélatrices des sols. Vous trouverez, bien sûr, bien d'autres espèces dans ou près des tourbières (à commencer par les plantes carnivores !). Certaines seront là, toutefois, parce que le milieu est humide : elles supportent l'acidité mais ne la recherchent pas.

 

A remarquer que les plantes acidophiles sont en réalité calcifuges : en clair cela veut dire qu'elle ne poussent pas mieux dans un sol acide mais plutôt qu'elles périssent dans un sol alcalin, très généralement calcaire. En effet, ces plantes n'ont aucune aptitude pour résister à l'entrée du calcium dans leur tissus, contrairement aux autres. Les plantes calcicoles y résistent très bien, ce qui donne l'impression qu'elles apprécient le calcaire : elles croissent en fait là où elles sont les seules à pousser