Spéculations sur l'origine
de
la Dionée

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Mise à jour : dimanche 13 mars, 2011


Cette page fait partie du Dossier sur la Dionée. Elle suppose que vous connaissez déjà le terme de "limbe inférieur" que j'emploie pour nommer ce qui est "partout" ailleurs appelé "pétiole", à tors jusqu'à la preuve du contraire. Ce point est traité dans la page Pétiole ou limbe inférieur ? et la présente page en est le prolongement. Il est utile de bien connaître cette plante ou d'avoir pris connaissance de la page consacrée aux Variétés de la Dionée, dont je me sers pour mes hypothèses.

Cette page est encore en fin de développement, en particulier dans les zones de cette couleur. De manière générales, vos remarques me seront précieuses...

© 2008 CarniBase

Introduction

A la suite de ma modeste séance d'anatomie comparée entre les feuilles de Dionée, d'Aldrovanda et de quelques autres (page Pétiole ou limbe inférieur ?) j'ai essayé de prolonger mes hypothèses quant aux origines. En effet, il y a des points communs et des différences entre les deux premières qui sont riches d'enseignements et la réflexion peut être étendue aux autres Droséracées. Il n'y a aucune prétention scientifique, simplement le prolongement imaginaire de mes observations mais s'appuyant sur une solide argumentation. Du reste, si une production scientifique doit nécessairement être rigoureuse, le travail qui y conduit reste plein d'intuitions et d'hypothèses qui ne demandent qu'à être étayées ensuite par des preuves.
J'ai eu beaucoup de plaisir à inventer ces plantes dont on ne possède aucun fossile et j'ai pensé que la démarche originale vous amuserait aussi.

Je suis parti également du principe que les mutations découvertes actuellement chez les cultivars de la Dionée et qui touchent son anatomie correspondaient à la désactivation ou blocage de certains gènes et qu'elles pouvaient nous donner d'autres indices. Même ce que l'on sait (et que j'ai vérifié) de la culture d'Aldrovanda peut être intéressant à explorer...

Encore une fois, n'hésitez pas à lire la page Pétiole ou limbe inférieur ? si vous aviez un doute sur une définition, je n'ai pas voulu ici alourdir mon propos par trop de répétitions.Retour en haut de page

La piste d'Aldrovanda vesiculosa

Des études génétiques montrent une forte parenté entre Dionaea et Aldrovanda mais elles ne montrent même pas si leur ancêtre commun était carnivore, terrestre ou aquatique ! Celui-ci est très ancien, de l'ordre de 65 millions d'années. (Source : "Phylogeny of the Sundews, Drosera (Droseraceae), based on chloroplast rbcL and nuclear 18S ribosomal DNA sequences".)

Sauf erreur, il n'y a pas de fossile très ancien de la Dionée. Seuls des pollens sont recencés, suffisamment distincts pour leur attribuer des noms d'espèces mais évidemment inutilisables pour attribuer la moindre forme aux feuilles...

L'ancêtre du premier Aldrovanda est inconnu. Celui-ci a donné beaucoup de variations qui ont évolué en différentes espèces aquatiques, toutes fossiles actuellement sauf Aldrovanda vesiculosa. Vous pourrez trouver un arbre phyllogénétique d'Aldrovanda en cliquant sur ce lien qui affiche 18 espèces fossiles.
Si nous observons les feuilles de cette plus proche "cousine" de la Dionée, nous sommes frappé d'observer une structure homologue, notamment le piège. Tout comme chez son parent, il apparaît en bout de feuille, possède deux lobes mobiles et dentés, mais il est entouré d'un nombre variable d'autres dents très longues qui proviennent du limbe inférieur ou basal et dépassent largement le piège. (Voir encart ci-dessous, agrandir la photo.) Certains pensent qu'elles interviendraient pour guider les proies vers les lobes fatidiques... Ce n'est pas flagrant : elles peuvent le faire quand les animalcules sont du bon coté mais, après tout, elles les empêchent aussi de passer lorsqu'ils sont du mauvais ! De plus, ceux qui sont susceptibles d'être piégés (i.e. que nous retrouvons prisonniers...) sont souvent largement plus petits que l'espace entre ces dents... Bref, la fonction de guidage est peu crédible... En revanche, quand on observe la manière dont Aldrovanda pousse, le rôle essentiel apparait assez naturel : maintenir à distance les autres plantes, faciliter ainsi l'expansion du brin donc globalement une meilleure pénétration de la lumière et, surtout, empêcher une fermeture anarchique par contact avec n'importe quoi - dans l'eau cela ne manque pas contrairement à l'air, c'est un fait important. Accessoirement, un grand nombre d'autres plantes aquatiques non carnivores, comme le Myriophyllum, ont des limbes très découpés ou en lanière car cela permet d'augmenter la surface d'absorption pour un même volume de matière vivante, les extensions que forment ces dents semblent d'autant suivre cette même voie qu''Aldrovanda n'a pas de racine.
Le brin d'Aldrovanda cesse sa croissance lorsqu'il arrive en contact avec un obstacle. Les autres plantes analogues continuent de grandir, ce qui conduit le brin à se déformer et rejeter vers l'arrière la partie ancienne. Cet arrêt de la croissance apicale chez Aldrovanda provoque la croissance de ramifications, et ainsi de suite jusqu'à ce que la surface de l'eau soit toute recouverte. Ce point est souvent à peine relevé mais je le trouve intéressant pour notre réflexion. En effet, dans les temps géologiques, les espèces du genre Aldrovanda étaient variées et abondantes un peu partout sur la planète mais si cette caractéristique existait déjà, alors une seule mutation aurait suffit pour l'empêcher. Quel est l'intérêt de cette spéculation ? Cet Aldrovanda aurait continué sa croissance malgré les obstacles, aurait continué à grandir dans un minuscule film d'eau : qu'elle meilleure manière de partir à la conquête de zone plus ou moins exondée, à la manière de certaines Utriculaires - Utricularia intermedia, ochroleuca, etc. Ainsi, une seule mutation suffirait pour amorcer une évolution vers le milieu terrestre, vers... la Dionée ? Certaines mutations sont rares, cela dépend de divers facteurs, et cela pourrait expliquer que ce phénomène ne se serait produit qu'une fois, dans la région actuelle des Carolines aux USA. (Cela dit, absolument rien n'empêche qu'une ou plusieurs plantes cousines de la Dionée soient apparues puis disparues sans laisser de traces...)
Inversement, le rhizome de la Dionée actuelle est à croissance continue et pour qu'il soit l'ancêtre de la tige de l'Aldrovanda il faudrait imaginer un ancêtre qui aurait évolué dans un milieu souvent inondé pour permettre le passage progressif dans l'eau. Cette transformation apparaît comme plus radicale : autant Aldrovanda parvient à survivre avec extrêmement peu d'eau, juste assez pour conserver son humidité, autant l'eau stoppe immédiatement la croissance de la Dionée. Celle-ci n'est pas capable manifestement de gérer une si forte différence de concentration osmotique, ni de respirer sous l'eau car elle n'a pas les lacunes aérifères d'Aldrovanda. Il faudrait donc que ces modifications soient apparues quasi simultanément. Ce n'est pas impossible, c'est juste un peu plus complexe et la comparaison méritait d'être faite. Évidemment, pas de trace fossile qui pourrait montrer, même, une origine d'Aldrovanda en Caroline...

Il semble évident que l'ancêtre commun de ces plantes portait lui aussi de tels pièges, tout comme l'ensemble de la vaste famille des Droséracées ne comporte que des plantes carnivores. La question est de savoir si cet ancêtre était aquatique et semblable aux Aldrovanda ou, au contraire, s'il était terrestre comme les autres Droséracées et semblable à la Dionée. Semblable ou en tout cas très ressemblant, car chacun d'eux présente une remarquable adaptation du même type de piège mais aussi de ce qui l'accompagne.

Actuellement, nous entendons dire parfois que les scientifiques penseraient qu'Aldrovanda serait une sorte de Dionée adaptée à la vie aquatique, bref qu'un ancêtre bien terrestre de la Dionée actuelle aurait évolué dans le milieu aquatique pour donner Aldrovanda. Je n'ai pas trouvé sur quelle base cela s'appuyait, ni même s'il ne s'agissait pas de pure... intuition. On peut imaginer que cela repose surtout sur un fait : Aldrovanda est le seul Droséracées aquatique et en plus il a un piège homologue à celui de la Dionée qui, elle, est encore terrestre. C'est donc tentant d'imaginer un Drosera, terrestre comme tous les Droséracées, acquérir d'abord un piège à deux lobes, devenir ainsi une "proto Dionée", puis qu'une de ses formes aurait évolué vers le milieu aquatique pour donner un "proto Aldrovanda". Mais la conséquence est qu'Aldrovanda devrait avoir des vestiges, des traces, de cet ancêtre "Dionée". Si ce n'est pas le cas et même, encore mieux, si l'on trouve plutôt que c'est la Dionée qui a des vestiges d'Aldrovanda, alors on peut pencher plutôt pour l'hypothèse inverse. C'est celle que je défends ici (j'attends la preuve du contraire) et la suite du chapitre détaille les raisons de mon choix.

Disparition des "ailes" et de la nervure centrale ?

Il me semble en effet qu'Aldrovanda aurait dû conserver les prétendues "ailes" visibles autour de ce qui ressemble tant à un "pétiole" différencié, et surtout conserver une nervure centrale marquée, car ce n'est pas un type de tissu qui disparaît facilement, surtout sans laisser de traces : au contraire, il sert souvent de repère pour comprendre les évolutions des feuilles, lors d'examens microscopiques. (Voir un exemple chez Cephalotus dans l'encart ci-dessous).

Cephalotus follicularis est la seule plante carnivore (en dehors du cas Triphiophyllum) à porter simultanément des feuilles-pièges (appelées "ascidies") et des feuilles ordinaires. On pourrait croire intuitivement que l'origine des pièges est une évolution des feuilles simples. Or, Jean-Daniel DEGREEF explique dans sa monographie "Cephalotus follicularis", qui était éditer par l'association Dionée (introuvable, si vous avez un original, merci de me contacter) que la nervation de ces dernières montre que c'est l'inverse !
«On pense souvent que les urnes de Cephalotus dérivent de feuilles semblables à celles que produit la plante en automne. L'étude micro-anatomique de ces dernières démontre qu'il n'en est rien. Le pétiole et le limbe possèdent des faisceaux homologues de ceux qui dans l'ascidie se rendent vers l'opercule. Les feuilles d'hiver ne sont donc pas des feuilles "normales", mais des ascidies ratées, n'ayant pu se développer suite à des conditions défavorables (développement anormal, tératologique). Des feuilles tératologique plus développées ne sont d'ailleurs pas rares dans l'espèce qui nous occupe. On y voit la résurgence de caractères archaïques, qui aident grandement à reconstituer l'évolution du piège.»

Au niveau de la présence d'ailes, dans la feuille d'Aldrovanda elles sont franchement inexistantes, la partie qui précède le piège présente vraiment l'aspect de limbe banal et homogène d'une plante aquatique. La photo d'Aldrovanda présentée ci-dessous (l'agrandir et la déplacer) montre très nettement ce fait mais aussi que le piège est un diverticule du limbe et que la feuille est fixée directement à la tige, donc sans pétiole. Les cloisons et sacs aérifères traversent le limbe inférieur en tous sens sans aucune rupture au centre : il devrait y avoir quelques traces si des ailes avaient poussées latéralement sur un pétiole autrefois fortement nervuré au milieu...

Denticules de bord de feuille

Sur cette photo d'Aldrovanda en fleur, ou plutôt en fruit, le rameau a d'abord classiquement produit des feuilles particulières dont le piège est remplacé par une pointe plus ou moins atrophiée. Puis il a formé une fleur, qui fructifie maintenant en s'incurvant vers le bas, puis enfin (arrière-plan) une ramification est apparue à la base du pédoncule floral et produit les feuilles classiques.

Le limbe inférieur chez Aldrovanda ressemble donc encore moins à un pétiole ailé que celui de la Dionée, le piège ne se forme que dans de bonnes conditions de culture et même tardivement sur des feuilles anciennes si les conditions s'améliorent ! Eh oui, la différence essentielle par rapport aux autres plantes aquatiques n'est finalement que ce piège terminal... quand il existe !

Un limbe en option ?

En effet, on oublie trop souvent que ce piège ne se forme pas toujours et, chose inconnue chez Dionaea, qu'il peut le faire plus tard quand les conditions changent, et même avec une rapidité stupéfiante. Je n'ai pas écrit "quand les conditions sont favorables" car Aldrovanda pousse très bien et longtemps sans ses pièges ! La plante semble un peu plus chétive mais ce n'est qu'une impression puisque les feuilles sont plus courtes. La plante doit tout de même aussi se contenter de moins d'apports nutritifs... Mais ce n'est pas parce qu'Aldrovanda est moins prolifique faute de nourriture que l'on a le droit de parler de conditions défavorables, elles ne sont pas idéales, tout au plus, nuance. Pour moi, c'est une adaptation intéressante de la plante, qui ne fait pas de piège pour économiser ses ressources et croitre en longueur de manière à progresser vers une zone meilleure car il y a pas mal de "niches", dans l'eau stagnante, où le pH, la luminosité, etc. peuvent être préférables : sur le plan évolutif c'est donc un avantage de pouvoir "aller les chercher" en économisant des ressources trop réduites.

Si le piège était tout le limbe et le reste un pétiole, alors nous aurions un limbe qui apparaîtrait ou non ainsi, selon les besoins, au bout d'un pétiole qui, par défaut, serait sans rien au bout. Quel autre exemple existe-t-il ? Je n'en vois AUCUN alors qu'au contraire il est très fréquent qu'une plante, en particulier aquatique, voit son limbe se modifier selon les circonstances.

Les dents du limbe inférieur

Dans cette hypothèse d'évolution d'une Dionée vers Aldrovanda, ces extensions sont considérées chez celui-ci comme issues des denticules observées parfois chez la Dionée dans la même zone :

- Si l'on conserve le principe d'un piège de la Dionée sur un pétiole ailé (principe que j'ai largement contesté justement dans la page Pétiole ou limbe inférieur ?) alors il faut admettre que ces ailes soient d'abord apparues sur un pétiole étroit puis que de telles denticules y apparaissent, et cela sans aucune nécessité ou utilité. Du point de vue évolutif, cela ne tient guère la route...

- Si l'on accepte l'idée inverse, que le pédoncule du piège n'est pas le début du pétiole "ailé" mais signe une constriction du limbe originel, alors ces denticules ne sont que la manifestation vestigiale des mêmes gènes qui produisent les dents des pièges, que ce soit Aldrovanda ou Dionaea. De ce point de vue, plus besoin de chercher une évolution depuis l'un ou l'autre : il y a une capacité commune (banale d'ailleurs) à former des dents sur le pourtour de la feuille avec une forte variabilité individuelle (également banale) liée à des gènes de régulation et tout à fait propice à subir la pression de l'évolution. Autrement dit, ce n'est pas une véritable évolution de l'un vers l'autre (phénomène souvent irréversible) mais une même capacité originelle qui se manifeste différemment et pourrait facilement varier au besoin. Je ne m'attends donc pas à observer un jour une mutation de Dionée avec sur le limbe inférieur de longues pointes renforcées. Attention, je n'ai pas dit qu'il n'était pas possible d'opérer une sélection lente et artificielle qui viserait à conserver dans cette zone les dents les plus longues possible, mais seulement que cela ne risque pas se produire en une seule mutation. Si cela devait arriver, alors c'est l'autre hypothèse qui sortirait renforcée.

Pour appuyer cette idée, nous pouvons constater que chez la Dionée, existent d'autres dents absolument pas nécessaire et que l'on néglige en permanence, et pourtant elles crèvent les yeux ! Si vous observez un piège, vous remarquerez qu'il y a aussi des denticules aux deux extrémités de chaque lobe alors qu'elles ne peuvent plus jouer leur rôle : emprisonner l'animal dans une sorte de cage. Une preuve qu'il ne s'agit pas d'une nécessité fonctionnelle, c'est que les pièges les plus petits, dit "juvéniles", par exemple issus de semis, ne présentent pas ces denticules terminales, d'où leur forme vaguement carrée.

[Insérer photos comparatives pièges Dionée : normal et juvénile]

Une autre explication pour expliquer la présence de toutes ces dents inutiles serait l'existence d'un gène permettant la formation de dents sur le pourtour mais qui ne serait activé qu'au niveau du piège et plus faiblement à proximité...

Ainsi, dans l'hypothèse inverse (Aldrovanda évoluant vers Dionaea) ces pointes aurait pu facilement régresser en sortant de l'eau et les denticules ne seraient que des vestiges : ce serait au moins une explication élégante de leur présence !

Nous verrons plus bas que cette dernière hypothèse permet d'aller encore plus loin.

Les mutations de la Dionée

Un être vivant manifeste extérieurement ses caractéristiques à partir de ses gènes (génotype) et de l'influence du milieu au sens large et qui en permet la manifestation. Cette manifestation s'appelle le phénotype. L'évolution se produit à partir de mutations brutales qui ne se manifestent pas forcément au niveau du phénotype. Par exemple, le milieu peut ne pas être approprié pour cela. De plus, la majorité de ces mutations provoquent plutôt des déficiences, des sortes de maladies génétiques : c'est un peu comme si on changeait brutalement une lettre au hasard dans ce texte, il y a peu de chances que l'on obtienne un mot correct, encore moins une phrase qui ait un sens. Je ne parlerai pas des mutations invisibles parce qu'elles concernent des parties de l'ADN inutilisées : si l'on change une lettre non dans ce texte mais dans le code source de cette page (le code HTML) il est parfaitement possible que rien ne se voit, tout dépend de l'emplacement. C'est ainsi qu'il y a dans l'ADN des parties dites "non codantes". Les mutations peuvent, aussi, donner des effets peu marqués qui sont acceptables, un peu comme dans un textes des coquilles qui n'empêchent pas de comprendre. Concrètement, la protéine produite à partir du segment d'ADN concerné aura peut-être plus de mal à prendre sa forme idéale, sans plus, et cela altèrera légèrement son efficacité, la fonction qu'elle remplie.

C'est surtout à partir de l'ensemble de la population avec toutes ses petites nuances individuelles (ces "textes individuels") que des combinaisons inédites surviennent et que la pression sélective va s'exercer. Par exemple, les hampes florales sont de hauteur variable sous l'effet de divers facteurs mais 30-40 cm est une bonne moyenne. Les plants qui produisent des hampes très basses ne sont manifestement pas avantagées et se reproduisent moins bien, les graines tombent trop près, etc. Imaginez maintenant que vous passiez la tondeuse à gazon pendant un million d'années, vous pouvez être sûr que ce type serait majoritaire .
A cause de cette faible probabilité d'obtenir un avantage mais au contraire une forte d'obtenir un inconvénient, on trouve des fleurs albinos chez toutes les plantes à fleurs normalement colorées mais l'apparition d'une forme noire n'arrive pas. (Cela fait belle lurette que les Hollandais essaient d'obtenir par sélection une tulipe de cette couleur, c'est bien connu.) On trouve aussi des Sarracenia (de toutes espèces) dites "heterophylla" c'est-à-dire sans le pigment rouge... mais en avez-vous vu des bleues ? Pourtant beaucoup de fleurs prennent cette couleur pour attirer les insectes, pourquoi pas des urnes en bleu ou, moins extravaguant, des pétales bleus ? Simplement parce que cela suppose l'action de non pas un seul mais de nombreux gènes et qu'ils ne vont pas tous muter en même temps, comme ça d'un coup, et converger tous dans la même direction, le même but : cela ne fonctionne pas ainsi. Évidemment, on peut toujours trouver des contre-exemples mais le fait est là : il est rare qu'une mutation apporte une propriété nouvelle utile, il s'agit le plus souvent de la perte d'une caractéristique, ce qui peut devenir toutefois un avantage dans un nouveau milieu. Sur le plan de la sélection naturelle, cette rareté ne peut donc être compensée que par deux choses : soit, un taux de reproduction extrêmement élevé (ex. Bactéries) soit, une durée d'évolution extrêmement longue, des centaines de milliers d'années...

De plus, il est à noter que la complexité croissante des êtres vivants fait que de plus en plus de gènes jouent un rôle uniquement de régulateur et non directement faisant partie d'une chaine essentielle. "le champ des mutations efficaces va se rétrécissant de plus en plus [...] A partir d'une certaine complexité, les mutations efficaces sont presque exclusivement celles qui affectent des gènes qui règlent la transcription d'autres gènes" - cf. "L'histoire de la vie", La Recherche, mai-juillet 2005, p25. Autrement dit, une mutation chez une plante évoluée comme une Droseracées a plus de chances :

  1. De nuancer l'expression d'un caractère, par exemple la durée de croissance des dents,
  2. De ne pas forcément l'annuler complètement, par exemple peu de chances de ne plus du tout avoir de dents sur un piège,
  3. Mais, en plus, il faudra que cette expression soit "actualisée", c'est-à-dire que les conditions de culture en permette la manifestation, la réalisation. Par exemple le contrôle de la croissance des dents peut aussi concerner celles qui apparaissent parfois sur le limbe inférieur. Pour être plus explicite, imaginons qu'un gène régule l'espacement des dents, alors on peut imaginer que des dents serrées sur le piège peuvent aussi produire des dents plus serrées sur le limbe inférieur MAIS aussi que si les conditions de culture (voire la présence d'autres gènes arrivés par croisement) ne sont pas favorables à leur apparition alors personne ne pourra observer le phénomène. Si un phénomène est régulé par un gène très stable, son altération ne produira un effet que dans des conditions extrêmes, par exemple une durée d'éclairement très importante. Ainsi certaines mutations semblent capricieuses mais il ne manque que les "déclics"...

Une mutation révélatrice

L'effet le plus spectaculaire d'une mutation (en dehors d'une maladie évidemment) se produit lorsqu'elle affecte un gène de régulation, un gène qui peut bloquer à lui tout seul l'expression de tout un ensemble de gènes et, à l'arrivée, d'un caractère.

S'il ne s'agit pas d'un pétiole ailé mais bien d'un limbe modifié, découpé, alors il y a au moins un gène responsable de cette absence de croissance latérale entre le piège et la base, ce "resserrement", et une seule mutation pourrait le bloquer, empêchant cette caractéristique de la Dionée. Nous allons voir plus loin qu'il existe justement une telle mutation, et même plusieurs.

S'il s'agit d'un pétiole ailé, le limbe pousse normalement au bout du pétiole de la feuille en formant ce piège caractéristique et des ailes se mettent à pousser indépendamment sur les cotés du pétiole donc le gène précédemment décrit n'existe évidemment pas !

Mais cela pose un sacré problème : une anomalie de croissance, sporadique, ou encore une malformation ponctuelle, est toujours possible, mais pas un phénomène systématique car celui-ci suppose un contrôle génétique, donc au moins un gène. La probabilité pour qu'une seule mutation d'un gène produise par miracle non seulement aucun inconvénient mais en plus une fusion entre le piège (qui constituerait donc tout le limbe) et ce pétiole... est quasi nulle !

Dionée 'Red Fused Petiole'

Que penser de cette variété horticole, la "Fused Petiole" appelée aussi "Korrigans", dont les lobes sont en continuité parfaite avec le reste de la feuille... Il s'agit manifestement d'une régression, c'est-à-dire que le limbe a simplement perdu la faculté de séparer ses deux parties (qui en deviennent moins efficaces) plutôt qu'une évolution, la fusion des ailes avec les lobes du piège... On n'observe pas de feuille plus ou moins fusionnée : toutes le sont... On ne peut pas davantage distinguer une ligne de séparation entre la partie piège et la partie dédiée à la seule photosynthèse. La zone de l'attache existe toutefois, d'où une ondulation de la feuille à son niveau.

Le cultivar "Crocodile", en revanche, ne semble plus présenter de pédoncule et la continuité est parfaite, les ondulations insignifiantes. Les feuilles semblent plus larges mais c'est un détail. Le résultat ressemble au cas précédent mais nous comprenons que la transition n'est plus chaotique, avec ces ondulations, mais parfaitement continue entre deux tissus rigides, celui du piège et celui du limbe inférieur normal.

D'autres mutations aux effets intermédiaires ont été rapportées...

Si nous pouvons parfaitement estimer que de telles mutations ne signifient rien au niveau de l'histoire de la plante sauvage parce que c'est une altération récente et horticole, reste qu'elles témoignent tout de même de certains mécanismes génétiques, cela même qui sont la clé de l'évolution. Il ne s'agit pas pour moi, à l'évidence, d'une fusion mais bien d'un retour à une feuille normale moins efficace pour retenir les proies comparativement à une feuille dont les deux fonctions sont anatomiquement séparées. C'est ce désavantage qui a favorisé toute l'évolution vers cette constriction caractéristique. Elle fait croire maintenant que des ailes auraient poussé plus tard autour d'un pétiole étroit banal, mais rien ne va dans le sens d'une confirmation...

Si nous poussons l'observation dans ses limites, nous constatons que l'absence de constriction n'empêche pas que les lobes du piège ne forment un angle : après tout, on pourrait imaginer une feuille dont les lobes et le limbe inférieur seraient en continuité :

  1. soit, parce que le piège serait grand ouvert ou presque, la feuille plane,
  2. soit, parce que ce serait les cotés du limbe inférieur qui seraient légèrement repliés.

Tout se passe comme s'il ne manquait vraiment qu'une absence de croissance latérale dans cette zone chez la "Korrigans" et carrément une absence d'attache chez la "Crocodile". Pour la Dionée classique, cette zone formant l'attache ainsi que l'absence de croissance localisée conduit à la libération totale de la base les lobes et donc de ces derniers.

Première hypothèse

On peut donc imaginer assez facilement que la Dionée ait un ancêtre commun avec Aldrovanda, un ancêtre qui aurait eu des dents sur tout le pourtour de la feuille, au moins dans la partie distale i.e. éloignée de la base. Ces dents étaient sans doute plus accentuées vers l'extrémité de la feuille, comme on le voit souvent chez beaucoup de feuilles dentées. L'efficacité de la fermeture augmentant avec sa vitesse et l'isolement d'un piège terminal, les poils collants présents à l'origine (qui existent chez tous les Drosera, encore plus éloignés du point de vue phylogénétique) ont perdu tout intérêts et ont fini par disparaître, mais il en existe encore beaucoup comme poils sensitifs chez Aldrovanda... Les dents en position proximale (i.e. du coté de la base) étant de moins en moins utiles avec l'augmentation de l'efficacité du piège terminal ont continué de disparaitre. Une caractéristique qui me semble importante et très rare chez les Drosera est l'axe longitudinal renforcé au centre de la feuille. C'est justement de part et d'autre de cet axe que la feuille de la Dionée peut se courber et se refermer.

(Le modèle ci-dessus sera commenté ultérieurement - une page entièrement en Flash est prévue...)

  • La subdivision du limbe en deux parties améliore considérablement l'efficacité du piège, que ce soit en vitesse et en étanchéité.
  • Les deux lobes peuvent former un angle idéal pour permettre l'emprisonnement d'un insecte entre les dents de la bordure sans toutefois empêcher son entrée.
  • Enfin, la division du limbe en deux parties fonctionnelles apporte un petit avantage supplémentaire : la partie de la feuille peut rester ordinaire, plate, et conserver une bonne exposition à la lumière.

En remontant le temps, on trouve un ancêtre commun avec les Drosera. On peut imaginer une feuille sans pétiole vraiment marqué (comme nous venons de le voir) mais au limbe couvert de poils collants. Avant d'aborder les ressemblances de ce modèle avec quelques espèces actuelles, on peut dès lors remarquer que si ces poils se retrouvent dans l'eau, ils ne collent plus, c'est facile à vérifier. Un repliement plus rapide du limbe peut alors pallier à ce problème et la sélection naturelle doit donc favoriser un tel mécanisme ! Pendant cette transition évolutive, il reste encore facile d'emprisonner de petites proies lentes comme de jeunes gastéropodes - Limnées, Physes, etc. Il se trouve que ce type de proies est souvent consommé, justement, par Aldrovanda : c'est très visible en culture. Si l'on ajoute le fait que les pièges d'Aldrovanda présentent un grand nombre de poils sensitifs, un peu comme les poils des Drosera, il me semble clair que la Dionée descend de l'Aldrovanda et non l'inverse !

La présence des dents devient alors un gros avantage et les poils collants devenus inutiles disparaissent vite en même temps qu'une partie de la feuille se spécialise dans un repliement de plus en plus rapide, entre autre en devenant étroite sous la partie devenue mobile...

Ce sont donc les immersions fréquentes de certains Drosera qui, selon moi, ont sans doute favorisé l'apparition du piège à fermeture rapide donc en l'occurrence d'une évolution vers Aldrovanda. A l'air libre libre, les pièges des Drosera n'auraient sans doute jamais évolué vers ce type parce que les poils colllants sont largement suffisant, y compris pour des proies de bonne taille. Un gros insectes peut, aussi, de toute façon s'enfuir assez facilement d'une Dionée, le créneau de taille est très étroit. Cette espèce de Drosera à fermeture rapide et ayant perdu presque tous ses poils a pu évoluer dans deux directions :

  • De plus en plus aquatique, le rhizome se libèrant du sol favorise la disposition régulière des feuilles autour de l'axe, bref la formation de verticilles.
  • De plus en plus souvent hors de l'eau, les verticilles seraient plutôt un inconvénient pour une croissance continue. On les observe chez des plantes comme la Garance, les Gaillets, mais les sols riches permettent de grandes tiges à croissance rapide. Les feuilles restent pourtant petites, sont munies souvent de crochets, etc. Imaginons une sorte d'Aldrovanda géant aérien... Dès qu'un piège prendrait une proie le poids de celle-ci ferait pivoter la plante en favorisant des torsions, le rapprochement avec d'autres plantes qui favoriseraient l'évasion mais aussi la fermeture intempestive des pièges libres... Donc, dans un milieu redevenu terrestre il vaut mieux que les pièges grossissent mais soient fixés sur des supports solides, fixes. C'est le cas des formes sauvages de la Dionée. La disposition en couronne (rosette) permet entre autres un bon appui au sol...

Homologie avec d'autres Droseracées

En fait, il existe bien un groupe de Drosera qui présente un axe central très marqué, une forte latéralisation du limbe, il s'agit de l'ensemble des DD. prolifera, adelae et schizandra. La densité de leurs poils collants est assez faible par ailleurs : un ancêtre commun avec Dionaea ("Archeodionaea", si vous voulez...) a pu arriver au même point mais accentuer son évolution dans ce sens...

Voyons en détail ces espèces :

Drosera prolifera

D. prolifera a des airs de Dionée avec son piège arrondi terminal, sa feuille qui se forme exactement comme celle de la Dionée après une croissance du "pétiole" et un piège qui reste plaqué contre celui-ci et ne se déplie qu'à la fin. Celle-ci se courbe vers la proie après une capture mais pas de manière bilatérale : il est vrai que, elle, n'a pas de nervure centrale qui traverse le piège...
Le nombre de chromosomes est de 30, exactement comme la Dionée - on trouve aussi 32 dans la littérature...

Drosera schizandra

D. schizandra ne replie pas sa feuille, car elle est rigide et avec une nervure centrale très marquée... comme chez la Dionée ! Cette grosse nervure peut parfois former une ou deux épaisses ramifications, indépendamment des nervures secondaires. La feuille se forme en se déroulant complètement comme les autre Drosera.
Le nombre de chromosomes est également de de 30.

Cette ramification de la nervure principale de D. schizandra pourrait-elle être rapprochée du phénomène de dédoublement (parfois multiple) observé chez la Dionée ? Le fait est que lorsque le phénomène apparait, cette ramification est antérieure à la formation du piège et non l'inverse. La formation d'un piège à chaque extrémité n'est qu'une conséquence de la présence de nervure et, même, ne se fait pas toujours. Voir à ce sujet ma galerie sur les Anomalies observées chez les plantes carnivores.

Drosera adelae - feuilles juvéniles

D. adelae replie très peu sa feuille après capture mais la nervure centrale est très marquée et va jusqu'au bout de la feuille sans se ramifier ; celle-ci se forme en se déroulant comme chez les autres Drosera. Regardez les feuilles de type juvénile, comme leur forme se rapproche de celle de la Dionée. Elles ne sont pas pointues mais terminées par une zone arrondie et, fait remarquable pourtant jamais cité, les poils marginaux forment... des dents !
Le nombre de chromosomes est de 28, donc un peu inférieur à celui de la Dionée.

Concernant le nombre de chromosomes, il est remarquable que celui-ci soit identique ou si proche, car pratiquement tous les autres Drosera (sauf D. hamiltonii en particulier) ont un nombre très différent. (source : article de l'American Journal of Botany.)

Tout se passe un peu comme si aucune n'avait eu l'ensemble complet des caractéristiques qui ont permis l'évolution vers un vrai piège type Dionée. La nervure principale de la feuille de Dionée est essentielle pour la formation du piège et apparait même de manière vestigiale dans de nombreux cas d'anomalies de formation dans lesquels les lobes sont plus ou moins atrophiés. La mutation "Funnel Trap" en est également un exemple stable : le piège est rétréci à la base, rarement au milieu, mais la nervure n'est affectée d'aucune anomalie : indirectement elle se trouve juste mise en évidence par la réduction des lobes, ce qui donne un pédoncule très long. Il est facile de démontrer que ce n'est pas le limbe inférieur qui est concerné par le phénomène : chez la Dionée le piège se trouve tourné vers la plante pendant sa formationl le pédoncule est plié or, on constate que cet allongement du pédoncule correspond à une partie du piège transformé, il est bien à son niveau.

[Ajouter photo]

D. regia présente quelques points commun avec la Dionée au niveau du pollen et le nombre de ses chromosomes. Il ne s'agit pas plus haut de prétendre qu'il y ait un lien de parenté direct avec le groupe mais de trouver aussi des plantes proches qui pourraient ressembler à cet ancêtre. L'aspect de la feuille de D. regia est différent, loin de celui de la Dionée, mais si un ancêtre commun avait ressemblé aux espèces présentées plus haut, alors celui-ci aurait très bien pu évolué naturellement vers la Dionée.

Dans tous les cas, la séparation du groupe Dionaea/Aldrovanda du reste des Droseracées est très ancienne et il n'y a pas d'étapes intermédiaires connues. Il n'est donc pas impossible que l'évolution ait été très rapide. Je vois deux explications :

  1. La capacité de telles plantes à obtenir des sels minéraux a un effet direct très élevé sur la capacité à se maintenir, à produire des descendants. Le moindre changement climatique peut avoir un effet radical avec un fort impact sélectif.
  2. On ne peut que constater l'incroyable variabilité en culture de l'espèce Dionaea muscipula. En quelques années est apparu un grand nombre de mutations qui ne sont pas du bricolage génétique ou chimique, contrairement à ce que l'on croit mais bien spontanées. Cela peut signifier une grande capacité à produire des pièges très différents, dans la nature se serait autant de possibilités à tester.

Après avoir écrit ces lignes j'ai eu le plaisir de trouver confirmation dans la littérature scientifique. Il est prouvé que la cadence relatives de substitutions des gènes des plantes ayant un piège complexe (donc type Dionée) est plus importante que celle ayant un piège simple type collant, comme celui des Drosera. (cf. Energetics and the evolution of carnivorous plants-Darwin's 'most wonderful plants in the world').

Hypothèse sur la spéciation Aldrovanda / Dionaea

Certaines de ces plantes à bord dentelé ont pu s'adapter au milieu aquatique alors qu'il restait encore des dents à l'extrémité du limbe inférieur. J'imagine assez facilement des terrains avec un humus de feuilles riches en matière organique inondés par une eau acide venant de tourbière : non seulement ce mélange est excellent pour Aldrovanda mais il lui est presque nécessaire, l'un sans l'autre ne donnant rien de bon en culture... Comme dans toute arrivée dans un nouveau milieu, la différenciation s'est accélérée, la structure en verticille (couronne de feuille) a pu apparaitre, les dents terminales du limbe inférieur grandissant pour protéger le piège terminal naissant des contacts inutiles. L'Aldrovanda était née, avec sa croissance continue, si efficace pour sa propagation que la floraison en est devenue inutile, de plus en plus rare. Dans ce nouveau milieu la vitesse de fermeture a continuer d'augmenter, facilité par la petitesse du piège qui offre proportionnellement une faible résistance. (A noter que la Dionée a aussi une croissance continue de sa tige : elle est souterraine, c'est son rhizome.)

A terre en revanche, les dents du limbe inférieur ont continuer de disparaitre pour n'être plus que des vestiges. Seul sont restées celles en bout de feuille car elles jouent le rôle de grille après le repliement.

On peut aussi facilement admettre que la Dionée avait alors une très petite taille, avec des feuilles de taille comparable à celles de l'Aldrovanda, ce qui est cohérent. Elle pouvait se contenter des dents sommaires "en peigne" que l'on retrouve chez les feuilles juvéniles de la Dionée et dans la mutation "Sawtooth" - tiens, encore une mutation intéressante !
La Dionée, plante terrestre, ne peut pas se développer de la même manière qu'Aldrovanda car le déplacement des rhizomes est bien plus lent que celui des tiges d'Aldrovanda, qui se dispersent facilement, en plus... L'augmentation de sa taille, en revanche, permet d'attaper des proies plus grosses. La taille du piège augmente avec le carré (c'est une surface essentiellement, l'épaisseur compte peu) alors que la quantité de matière récupérée augmente, elle, avec le cube puisque c'est un volume : la moindre augmentation de taille apporte donc un supplément fortement croissant. Mais il faut passer alors à des dents plus longues et renforcées, c'est plus efficace si on le ramène encore une fois à la quantité de matière nécessaire à la réalisation du piège. On l'oublie d'ailleurs souvent : le piège évolue légèrement sur le plan technique car pour la première fois il s'agit d'un enfermement avec une véritable grille formée de barreaux, celle que nous connaissons dans les formes sauvages. Évidemment, certains diront que c'est pareil mais c'est inexact : observez une capture et vous verrez bien que l'animal n'est pas retenu tout à fait de la même manière. On pourrait donc penser qu'il y a eu un stade avec ce type de dents, autrefois lorsque la Dionée avait des feuilles encore de petite taille, mais qu'elles se sont avérées moins efficaces avec une taille plus grande. Par le simple blocage d'un gène, c'est sans doute ce caractère qui se manifeste aujourd'hui dans la mutation de type "Sawtooth" et ses descendants.

Le bout de la feuille s'est donc spécialisé et a augmenté de taille, conjointement à celle des proies, rendant parfaitement inutiles voire gênants la présence de poils internes qui ont totalement disparus, sauf sous la forme de quelques cils sensitifs, d'abord nombreux puis se réduisant encore sous l'effet de gènes inhibiteurs. Il n'en reste plus que trois par lobe mais des mutations fréquentes altèrent facilement ce nombre. Une mutation intéressante sur ce sujet affecterait la variété "Fuzy Teeth". Celle-ci présenterait une touffe de poils sensitifs en plein milieu sur cette nervure ! [J'utilise le conditionnel parce que pour l'instant je ne remarque pas grand chose mais mon plant est trop petit.] On peut donc estimer qu'à l'origine il devait certainement y en avoir également dans cette zone. Un jour une mutation a fait disparaître ce caractère, ce qui s'est propagé car les poils latéraux suffisaient largement, voire même étaient favorables. Pourquoi cela ? Simplement à cause d'une particularité peu citée (décidément !) du piège de Dionée : il présente des glandes à nectar uniquement sur le bord, contrairement aux Drosera. L'attraction olfactive et visuelle s'améliorant à l'égart des insectes volants (n'oublions pas qu'Aldrovanda attire d'autres animaux, aquatiques) le nombre de glandes peut être réduit. C'est sur le bord qu'elles sont le plus efficace : l'insecte ne peut pas commodément se poser sur les dents, donc pour absorber le nectar il doit se positionner... pile-poil (si j'ose dire) au beau milieu d'un lobe. De ce fait, non seulement les poils qui s'y trouve deviennent essentiels, mais encore les poils et les glandes nectarifères au centre ne servent plus à rien et, pire, sont plutôt gênants. On pourrait, en corollaire, trouver sans doute des mutants avec des glandes à nectar un peu partout dans le piège : ouvrez grand vos yeux !

Encore des mutations...

Si nous poursuivions notre inspection des cultivars ? Voici pour l'instant juste quelques cas :

Un phénomène étrange est l'apparition de crêtes sur les plants. Selon les variétés, elles présentent des particularités qui semblent liées aussi à leur localisation.

"Funnel Traps", "Crested Petiole", peut-être "Feather", une variété crêtée "mythique" car disparue sans laisser de trace, en comportent souvent sur le limbe inférieur et l'apparition nécessite que l'air soit extrêmement humide, voire saturé. Les feuilles de "Funnel Traps" qui sont souvent recouvertes d'eau se recouvrent d'un manteau épais. Les feuilles concernées ne sont pas perturbées, ce serait plutôt le contraire car leur longévité est exceptionnelle, souvent plus d'un an, peut-être deux, mis à part le piège... Les excroissance ne poussent que sur la face supérieure, près de la nervure, et jamais dans la partie inférieure de la feuille. Cette importance de la nervure est peut-être (?) en rapport avec la présence possible de ces excroissances également sur la hampe florale.

Dionée

Cette photo figurait dans une page en anglais maintenant disparue. Ceux qui ont essayé d'obtenir des renseignements, savoir si quelqu'un aurait conservé cette variété ou clone, n'ont rien obtenu. Certains pensent qu'il s'agirait d'une "Funnel Trap" mais je pense que les déformations des pièges de celle-ci auraient été remarquées et signalées... Cette dernière est apparue dans les collection beaucoup plus tard, il est possible qu'il s'agisse d'une mutation qui bloque un ensemble de gènes dont certains permettent normalement un limbe lisse et d'autres un piège normal.

Les variétés "Cross Teeth" et "Long Red Fingers" présentent des crêtes différentes difficiles à décrire. Elles apparaissent plus nombreuses sur le limbe inférieur en se rapprochant du piège, parfois sur son pédicelle ce qui ne m'étonne plus depuis que j'y ai vu se former des plantules ! Il y en a aussi sur la hampe florale - mais la fleur est elle aussi très désorganisée (et même souvent stérile) jusqu'à former des pétales tubulaires ! (voir ma collection et la galerie pour des photos...)

Les pièges de la variété "Mirror" sont décrits comme formés de lobes multiples. En réalité, l'observation attentive (toujours elle) révèle qu'il s'agit d'une mauvaise interprétation. Tout se passe comme s'il s'agissait encore de crêtes, géantes mais qui ne se formeraient que sur les lobes des pièges (face externe uniquement) à partir de leurs tissus : en l'occurrence ceux qui donnent une bordure avec des dents... mais rien d'autre. Par exemple si sa base est semi-circulaire on obtiendra un très long tube perpendiculaire au lobe et bordé de quelques dents à son extrémité.

Conclusion

L'examen des diverses mutations est riche d'enseignements mais il faut rester prudent, bien discerner les certitudes des hypothèses.

Il faut distinguer une apparition spontanée, brute, conservée telle quelle, comme les exemples cités, des variétés obtenues par hybridations et sélections, visent à grouper dans une même plante divers caractères intéressants sur le plan esthétique, commercial, etc. On peut inclure beaucoup de variations de couleurs, qui résultent d'une altération que j'estime non révélatrice d'un passé. Une forme jaune montre une altération dans la production de pigment (je ne sais pas s'il s'agit de trop de xanthine ou pas assez de chlorophylle...) mais ceci ne présente a priori aucun intérêt du point de vue évolutif. On peut parler d'une tare génétique.

Enfin, n'oublions pas que si les mutations observées de nos jours peuvent contribuer considérablement à comprendre comment la Dionée actuelle est apparue, absolument rien ne dit à quel moment et surtout dans quelle chronologie les caractères nouveaux sont apparus ! Constater qu'il est possible de bloquer la formation de l'attache qui sépare le piège du reste du limbe ne nous dit pas si cette division est apparue avant, après ou pendant la disparition des nombreux tentacules présents chez toutes les autres Droséracées, donc primitivement, antérieurement. Ce n'est pas une raison pour ne pas réfléchir au sujet, il suffit juste de ne pas prendre ses rêves pour une réalité...